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L’action de groupe : entre incertitudes procédurales et instrumentalisation

Par DROIT&PATRIMOINE

Le régime de l’action de groupe laisse un certain nombre d’incertitudes, qu’il reviendra à la jurisprudence de clarifier. Les premières actions de groupe introduites par les associations de consommateurs permettent par ailleurs de constater une instrumentalisation de la procédure. 

Par Kami Haeri, Avocat associé du cabinet August & Debouzy, Ancien membre du Conseil de l’Ordre, Ancien secrétaire de la Conférence, et Benoît Javaux, Avocat of counsel du cabinet August & Debouzy

La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (JO 18 mars) relative à la consommation (dite loi « Hamon ») a introduit l’action de groupe en droit français aux articles L. 423-1 et suivants du Code de la consommation. La procédure d’action de groupe est entrée en vigueur le 1er octobre 2014, après la publication du décret d’application[1].

Le jour même de l’entrée en vigueur du dispositif, l’association de consommateurs UFC-Que Choisir a annoncé la toute première action de groupe en France, en s’appuyant sur les médias pour en maximiser le retentissement. D’autres actions de groupe ont depuis lors été annoncées et pour certaines introduites contre des professionnels intervenant dans différents secteurs d’activités, et en particulier dans les secteurs du logement et de l’assurance.

La publication de l’ensemble des textes régissant la procédure d’action de groupe permet une analyse critique de ce nouvel outil procédural à la disposition des associations de consommateurs agréées et représentatives au niveau national (I). Ces textes laissent par ailleurs de nombreuses incertitudes qui devront être clarifiées par les tribunaux, au terme d’un processus d’uniformisation de plusieurs années. Les premières actions de groupe mettent en lumière une tendance à l’instrumentalisation de la procédure par les associations de consommateurs. Le premier bilan de la procédure d’action de groupe est donc inquiétant (II). 

I – Commentaires sur le régime de l’action de groupe fixé par la loi « Hamon » et son décret d’application

Avant de procéder à une analyse critique des précisions apportées par le décret d’application de la loi « Hamon » (B), un bref rappel des principales caractéristiques de l’action de groupe s’avère nécessaire (A).

A – Rappel des principales caractéristiques de l’action de groupe

Le présent article ayant vocation à commenter la procédure d’action de groupe sous un angle pratique, seules les caractéristiques essentielles de la procédure seront évoquées ci-dessous[2].

Qualité à agir. – Les associations de consommateurs agréées et représentatives au niveau national ont un monopole pour introduire des actions de groupe (C. consom., art. L. 423-1). Seules quinze associations disposent à ce jour de l’agrément leur permettant de mettre en œuvre des actions de groupe.

Champ d’application. – L’action de groupe a pour objet de réparer les préjudices patrimoniaux subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles à l’occasion d’une vente ou de la fourniture d’un service. L’action de groupe est également possible lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles (C. consom., art. L. 423-1).

Procédure d’action de groupe de droit commun. – La procédure comprend deux phases principales. La première phase aboutit à un jugement rendu par un tribunal de grande instance (TGI) sur la recevabilité et le principe de la responsabilité du professionnel. Le cas échéant, ce jugement définit le groupe ainsi que les mesures de publicité qui devront être mises en œuvre pour informer les consommateurs (C. consom., art. L. 423-3). Le tribunal statue au vu des « cas individuels » présentés par l’association.

La seconde phase est une phase d’indemnisation des consommateurs par le professionnel, après la mise en œuvre des mesures de publicité du jugement et l’épuisement des voies de recours (C. consom., art. L. 423-4 et L. 423-11). Les consommateurs ne rejoignent la procédure qu’au cours de cette seconde phase (C. consom., art. L. 423-5). Le professionnel pourra contester le rattachement de certains des consommateurs au groupe devant le même TGI, qui statuera sur l’ensemble des difficultés dans un même jugement (C. consom., art. L. 423-12).

Procédure d’action de groupe dite « simplifiée ». – Cette option procédurale est ouverte lorsque les informations relatives à tous les consommateurs concernés par l’action (identité des consommateurs, nombre, montant du préjudice) sont connues. Lorsque le professionnel est reconnu responsable, le tribunal le condamne à indemniser directement et individuellement les consommateurs (C. consom., art. L. 423-10). Dans ce cas, il n’y a pas de mesures de publicité mais des mesures d’information individuelle des consommateurs, lesquels peuvent accepter ou non d’être indemnisés dans les termes du jugement.

B – Analyse critique des précisions apportées par le décret d’application

Le décret d’application du 24 septembre 2014 et une circulaire du 26 septembre[3] ont apporté d’utiles précisions quant au régime de l’action de groupe. Nous nous limiterons dans le présent article à commenter les questions relatives à la compétence territoriale des TGI (1°), aux attributions du juge de la mise en état lors de la première phase de la procédure (2°) et à la procédure d’appel (3°)[4].

1°/ Sur la compétence territoriale des TGI

La plus importante des précisions apportées par le décret concerne la compétence territoriale des TGI. Plus que d’une précision, il s’agit d’ailleurs d’une limitation du champ de l’article L. 211-15 du Code de l’organisation judiciaire, qui prévoit la compétence de l’ensemble des 161 TGI existant en France pour statuer sur les actions de groupe. Le Parlement n’a en effet pas retenu dans la version finale de la loi « Hamon » la spécialisation des TGI en matière d’action de groupe. Il existait donc un risque de forum shopping, les associations de consommateurs pouvant constituer leur dossier de telle sorte qu’elles auraient pu choisir le TGI devant lequel porter leur action[5].

Le pouvoir réglementaire a néanmoins pris conscience de ce risque. Le décret d’application déroge donc aux règles classiques de compétence territoriale dans le but d’obliger les associations de consommateurs à initier leurs actions de groupe devant le TGI dans le ressort duquel le professionnel a son siège social (C. consom., art. R. 423-2). La plupart des actions de groupe seront donc portées devant les TGI de Paris et de Nanterre, ce qui se vérifie d’ailleurs avec les premières actions introduites. Si le professionnel a son siège social à l’étranger, le TGI de Paris sera seul compétent. Les règles de compétence territoriale posées par le décret d’application sont claires et doivent être approuvées en ce qu’elles permettent de fortement limiter le risque de forum shopping. La concentration du contentieux devant un nombre restreint de TGI et de cours d’appel permettra également de limiter le risque de décisions divergentes sur les nombreuses questions que les juges seront amenés à trancher.

Si ces règles sont simples et confèrent une certaine prévisibilité, les situations procédurales seront plus complexes en présence de plusieurs associations et/ou professionnels. Une action de groupe peut en effet être introduite contre plusieurs professionnels qui n’ont pas leurs sièges sociaux dans le ressort du même TGI (C. consom., art. L. 423-1), comme cela est d’ailleurs le cas de l’action de groupe de l’association Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV) contre la société AXA et l’association d’assurés AGIPI (Association générale interprofessionnelle de prévoyance et d’investissement). Sur le fondement de l’article 42, alinéa 2, du Code de procédure civile, la CLCV a assigné les deux codéfenderesses devant le TGI de Nanterre (ressort du siège social d’AXA), alors même que l’AGIPI a son siège social dans le département du Bas-Rhin.

Dans une telle hypothèse (action de groupe contre plusieurs professionnels devant le TGI du siège de l’un d’entre eux), une seconde association de consommateurs pourrait initier sa propre action de groupe, pour les mêmes faits, mais cette fois devant le TGI du siège social de l’autre professionnel. Ce risque (théorique) d’actions de groupe concurrentes serait alors certainement réglé au travers de l’exception de connexité soulevée par les professionnels (CPC, art. 101).

Au-delà des hypothèses d’actions de groupe directement introduites contre plusieurs professionnels, doivent également être envisagées les interventions de professionnels, qu’elles soient volontaires ou forcées. Dans ce dernier cas, le professionnel (le fabricant du produit ou l’assureur de responsabilité, par exemple) sera assigné pour rejoindre une procédure d’action de groupe pendante devant un TGI, sans qu’il puisse en principe décliner la compétence territoriale de cette juridiction (CPC, art. 333).

2°/ Sur les attributions du juge de la mise en état pendant la première phase de l’action de groupe

Sauf disposition expresse contraire, les règles de la procédure ordinaire en matière contentieuse devant le TGI s’appliquent à l’action de groupe (C. consom., art. R. 423-4). Les actions de groupe seront donc en pratique systématiquement instruites sous le contrôle d’un juge de la mise en état.

Parmi ses attributions, le juge de la mise en état a, jusqu’à son dessaisissement, une compétence exclusive pour statuer sur les exceptions de procédure (CPC, art. 771). À cet égard, la compétence de principe du TGI du lieu où demeure le défendeur (C. consom., art. R. 423-2) rend improbables les exceptions d’incompétence en matière d’actions de groupe. Il en est de même pour les exceptions de litispendance et de connexité (sauf dans des hypothèses spécifiques, comme celle évoquée précédemment).

Le professionnel pourrait en revanche avoir intérêt à soulever une exception de nullité de l’assignation, pour des raisons juridiques, voire stratégiques. Au-delà des causes classiques de nullité, le professionnel pourra se fonder sur l’article R. 423-3 du Code de la consommation, qui dispose que « (…) l’assignation expose expressément, à peine de nullité, les cas individuels présentés par l’association au soutien de son action ». Cette exigence devrait imposer à l’association de consommateurs de détailler avec précision les situations juridiques et factuelles de chacun des consommateurs, et cela dans le corps même de l’assignation. La situation individuelle de ces consommateurs – choisis par l’association en raison de leur supposée représentativité – est en effet déterminante pour permettre au professionnel et au juge d’apprécier la recevabilité de l’action de groupe (exigence de situations factuelles et juridiques similaires ou identiques) et, le cas échéant, les critères de rattachement au groupe. Bien que les consommateurs ne soient pas à proprement parler des parties à la procédure, il semblerait par ailleurs nécessaire que l’assignation précise, pour chacun des « cas individuels », les informations qui sont requises lorsqu’une personne physique introduit elle-même une action en justice (CPC, art. 648).

Le juge de la mise en état sera également compétent pour statuer sur les demandes de production forcée de pièces, et en particulier la production des fichiers clients détenus par les professionnels[6]. Dans ce dernier cas, l’objectif final poursuivi par les associations de consommateurs sera de pouvoir demander au juge le passage en procédure simplifiée (possibilité confirmée par la circulaire de présentation). La demande de production du fichier clients du professionnel soulève néanmoins de sérieux problèmes juridiques, en raison notamment de l’atteinte disproportionnée qui serait portée au secret des affaires. La jurisprudence apparaît mesurée en la matière, la communication de certaines informations du fichier clients – lorsqu’elle est exceptionnellement ordonnée – devant être limitée dans son étendue, et strictement nécessaire et proportionnée aux buts poursuivis[7].

Enfin, la condamnation du professionnel à communiquer certaines informations de son fichier clients pourrait créer de nouveaux incidents. Les associations pourraient en effet vouloir demander qu’un huissier de justice ou un expert soit désigné pour vérifier l’exhaustivité et la complétude des informations communiquées. Les débats s’en trouveraient complexifiés et l’atteinte aux droits du professionnel d’autant plus importante.

3°/ Sur la procédure d’appel

Poursuivant un objectif de rapidité des procédures, le décret d’application apporte une dérogation aux règles classiques de l’appel en prévoyant expressément que la procédure d’appel contre les jugements rendus en matière d’action de groupe sera celle réservée aux affaires évidentes et/ou urgentes, c’est-à-dire la procédure prévue à l’article 905 du Code de procédure civile[8].

Cette disposition apparaît particulièrement critiquable dans la mesure où les actions de groupe ne pourront être systématiquement considérées comme des affaires « urgentes » ou « évidentes ». À l’inverse, les actions de groupe soulèveront de nombreuses problématiques légales et factuelles, particulièrement en ce qu’elles constituent une évolution majeure du système juridique français, et qu’elles auront dès lors des conséquences sur la procédure civile et les régimes de responsabilité.

II – Les lacunes du régime de l’action de groupe sont une source d’incertitudes et d’abus

Le régime de l’action de groupe laisse un certain nombre d’incertitudes, qu’il reviendra à la jurisprudence de progressivement clarifier (A). Les premières actions de groupe introduites par les associations de consommateurs permettent également de constater une instrumentalisation inquiétante de la procédure par les associations (B).

A – Les incertitudes procédurales devront être précisées par la jurisprudence

Les lacunes du régime de l’action de groupe permettent déjà d’appréhender certaines des questions qui seront inévitablement soumises aux juges. La jurisprudence aura ainsi à clarifier les conséquences sur la procédure d’une pluralité de professionnels (1°) ainsi que les risques découlant de l’absence de limitation des mesures de publicité du jugement de responsabilité (2°).

1°/ Sur les conséquences d’une pluralité de professionnels

Si l’article L. 423-1 du Code de la consommation prévoit qu’une action de groupe peut être introduite contre plusieurs professionnels, de nombreuses incertitudes demeurent sur les conséquences d’une pluralité de professionnels sur la procédure elle-même et, le cas échéant, sur les modalités d’indemnisation et de recours en garantie.

L’implication de plusieurs professionnels aura comme première conséquence de ralentir l’ensemble de la procédure d’action de groupe. La procédure sera d’autant plus compliquée et longue que les intérêts des différents professionnels ne seront pas alignés, ce qui sera principalement le cas en présence d’appels en garantie. Dans cette dernière hypothèse, il y aurait des débats et des prétentions formulées entre l’association et le ou les professionnels, d’une part, et entre les professionnels, d’autre part.

D’autres incertitudes naissent des condamnations pouvant être prononcées contre plusieurs professionnels par le jugement rendu au terme de la première phase de la procédure d’action de groupe.

Dans certaines hypothèses, le tribunal pourrait ainsi prononcer une condamnation in solidum des professionnels concernés afin de faciliter et garantir l’indemnisation des consommateurs lors de la phase suivante. Dans ce jugement déclaratoire de responsabilité, le tribunal pourrait néanmoins ne pas avoir à statuer sur la part de responsabilité de chaque professionnel et donc sur la répartition de la charge financière entre eux, tout simplement parce qu’aucune partie n’aura formulé une telle demande. L’association aura en effet intérêt à ne demander qu’une condamnation in solidum, alors que les professionnels, lorsqu’ils seront codéfendeurs, n’auront pas nécessairement intérêt à se désolidariser lors de cette phase, au risque sinon de s’affaiblir mutuellement par rapport à l’association.

Une condamnation in solidum des professionnels ferait naître de nouvelles questions et incertitudes. Comment sera réparti le coût des mesures de publicité entre les professionnels ainsi que le paiement de l’éventuelle provision à l’association ? Les demandes d’adhésion au groupe pourront-elles être adressées à l’un ou l’autre des professionnels ? Dans une telle hypothèse, il nous semble que le jugement devrait prévoir une adhésion auprès de l’association ou du tiers désigné par celle-ci. L’adhésion valant mandat aux fins d’indemnisation, l’association pourrait alors demander à l’un des professionnels de verser la totalité des dommages et intérêts, à charge pour lui de se retourner contre le ou les autres professionnels dans le cadre d’une action distincte. L’anticipation de ces problèmes pourrait donc finalement conduire les professionnels, codéfendeurs à une action de groupe, à formuler dès la première phase de l’action des demandes subsidiaires les uns contre les autres, et donc à s’affaiblir face à l’association.

2°/ Sur les risques liés aux mesures de publicité du jugement déclaratoire de responsabilité

L’article L. 423-4 du Code de la consommation prévoit que le jugement, lorsqu’il retient la responsabilité du professionnel, ordonne les mesures de publicité adaptées pour en informer les consommateurs et leur permettre de rejoindre le groupe de victimes. Or le décret d’application n’apporte aucune précision et/ou limite s’agissant des mesures de publicité envisageables dans le cadre de la procédure d’action de groupe de droit commun.

Saisi d’une demande de l’association de consommateurs en ce sens, le tribunal pourrait donc décider d’ordonner au professionnel de financer et de mettre en œuvre une campagne de publicité à la télévision dont l’objet serait d’informer le public de sa condamnation et des conditions d’indemnisation. Or les conséquences en termes d’image seraient catastrophiques, le coût de telles mesures pourrait s’avérer très élevé et leur efficacité est sujette à caution.

Les mesures de publicité télévisuelle apparaissent disproportionnées et inefficaces dans la mesure où notamment :

– le nombre de téléspectateurs sera, le plus souvent, largement plus important que le nombre de consommateurs répondant aux critères de rattachement au groupe ;

– les mentions devant obligatoirement figurer dans la mesure de publicité ne se prêtent pas à un format télévisuel. L’article R. 423-13 du Code de la consommation détaille les six mentions obligatoires, dont la première est la reproduction du dispositif qui, compte tenu des nombreuses questions devant être tranchées par le tribunal, sera particulièrement long. Les autres mentions ne sont pas plus adaptées à un format télévisuel, dès lors que leur contenu ne pourra pas être mémorisé par les consommateurs, même après de nombreuses diffusions. Ils devront nécessairement se reporter à un support écrit pour connaître l’ensemble des détails.

Les mesures de publicité les plus efficaces et les moins attentatoires sont en conséquence la publication d’un communiqué sur les sites Internet du professionnel et de l’association ainsi que la diffusion dans la presse locale, voire nationale (en fonction de la définition de groupe).

B – Les premières actions de groupe mettent en lumière une tendance à l’instrumentalisation de la procédure par les associations de consommateurs

La procédure d’action de groupe est entrée en vigueur le 1er octobre 2014. S’il est trop tôt pour faire un bilan, une instrumentalisation de la procédure par les associations de consommateurs peut néanmoins être d’ores et déjà constatée, et cela alors même qu’elles étaient supposées être un garde-fou contre les dérives[9].

1°/ La recherche par les associations d’un retentissement médiatique

Le premier effet pervers est constitué par la forte médiatisation recherchée par les associations de consommateurs elles-mêmes. Chacune des actions de groupe introduites jusqu’ici par les associations a ainsi été annoncée par un communiqué de presse et par un plan média soigneusement préparés, fortement relayés dans les médias online et offline. Il est donc vraisemblable que chacune des quinze associations de consommateurs agréées cherchera à tirer un profit personnel de l’exposition médiatique offerte par la simple annonce d’une action de groupe.

Or la médiatisation d’une action de groupe a pour conséquence une atteinte immédiate et durable à l’image des professionnels concernés, et cela alors même qu’aucun jugement n’a été rendu, voire alors que l’action de groupe n’a pas été introduite. Les conséquences pour le professionnel sont telles que ce dernier pourrait d’ailleurs décider de tout faire pour éviter une exposition prolongée dans les médias. Ainsi, la menace, ou même la simple annonce, d’une future action de groupe constitue en elle-même une arme pour les associations pouvant leur permettre d’obtenir des engagements du professionnel, et cela indépendamment du bien-fondé réel des demandes de l’association.

Le professionnel subissant les effets de l’annonce publique d’une action de groupe serait en principe bien fondé à agir en référé d’heure à heure pour obtenir la cessation de ce trouble manifestement illicite par le retrait du communiqué publié sur le site Internet de l’association et par l’interdiction sous astreinte de toute intervention dans les médias sur l’action de groupe envisagée ou en cours (CPC, art. 809)[10]. Le trouble est d’autant plus manifeste que la loi elle-même institue un mécanisme de publicité légale une fois rendu le jugement reconnaissant la responsabilité du professionnel. La médiatisation est en tout état de cause inutile pour la préparation de l’action de groupe dès lors qu’une telle action peut être introduite sur la base d’un nombre limité de cas individuels. En mettant en œuvre des stratégies médiatiques lors de l’introduction d’une action de groupe, c’est donc bien leur propre intérêt que poursuivent les associations de consommateurs.

Les premières actions de groupes permettent également de constater une forme de surenchère dans le chiffrage du préjudice allégué pour l’ensemble des consommateurs, lequel est souvent et volontairement évalué de manière globale et simplifiée par les associations[11]. Or, le groupe de consommateurs n’étant à ce stade pas défini par un jugement, le nombre des prétendus consommateurs victimes et le préjudice total subi par l’ensemble des consommateurs ne sont que des déclarations de l’association sujettes à caution. En procédant de la sorte, les associations de consommateurs assurent néanmoins un retentissement maximal à leur action et se constituent une base pour calculer le montant de la consignation qu’elles demanderont au tribunal d’ordonner au professionnel de payer.

2°/ L’utilisation par les associations de décisions rendues dans des litiges individuels

Les associations de consommateurs invoquent pour la plupart, au soutien de leurs actions de groupe, des décisions de justice rendues dans des litiges individuels qui, selon elles, caractériseraient la faute du professionnel. Dans cette logique, l’action de groupe ne ferait alors qu’appliquer sur une grande échelle une décision déjà rendue dans un litige individuel, rendant ainsi quasiment inutile un nouveau débat sur la responsabilité du professionnel dans le cadre spécifique de l’action de groupe. En d’autres termes, la faute du professionnel ayant déjà été reconnue dans une affaire précédente, il serait nécessairement responsable dans le cadre de l’action de groupe également. Ces décisions de justice individuelles sont donc utilisées par les associations de consommateurs comme des « précédents » au sens anglo-saxon du terme.

Cette stratégie des associations de consommateurs a déjà prouvé son efficacité sur le plan médiatique. Les associations font en effet référence à des décisions rendues dans des litiges individuels dès leurs communiqués de presse annonçant l’action de groupe. Les professionnels en cause sont ainsi présentés comme ayant déjà été jugés coupables dès le communiqué de presse initial, le tribunal n’ayant plus vocation qu’à ordonner l’indemnisation des nombreuses victimes[12]. Or c’est cette présentation biaisée du litige qui est relayée par les médias, démultipliant l’atteinte à l’image du professionnel.

La démarche des associations se heurte néanmoins au principe de l’effet relatif de la chose jugée et de la présomption de vérité qui en découle. Si une décision de justice a, dès qu’elle est rendue, autorité de chose jugée par l’effet de la loi, la portée de cette autorité ne dépasse pas ce qui a été jugé entre les parties à l’instance. L’autorité de chose jugée ne s’étend pas en principe aux tiers à l’instance, ni aux actions entre les mêmes parties ayant une cause et/ou un objet différents. À supposer même qu’une association se prévale d’une décision de justice qui aurait tranché un litige particulier qui l’opposait au professionnel désormais poursuivi dans le cadre d’une action de groupe, le débat sur la prétendue faute du professionnel restera entier dans le cadre de l’action de groupe.

Il est évident que le tribunal prendra en compte dans son appréciation l’existence d’une décision antérieure ayant condamné le professionnel, mais rien ne l’empêchera – d’un point de vue juridique – de ne pas le condamner dans le cadre de l’action de groupe au vu des arguments en défense développés dans cette instance. Ainsi que le résumait le président Dintilhac dans le rapport de la Cour de cassation pour 2004, « le contenu d’un jugement passé en force de chose jugée n’est qu’une vérité relative, contingente et étrangère à toute idée de vérité absolue »[13].

 

[1] D. n° 2014-1081, 24 sept. 2014, JO 26 sept.

[2] Pour des présentations détaillées de la procédure de l’action de groupe, v. N. Fricero, Aspects procéduraux de l’action de groupe : entre efficacité et complexité, supra dans le présent dossier p. 36 ; D. Mainguy et M. Depincé, L’action de groupe, nouvelle procédure du droit français de la consommation, Dr. & patr. 2014, n° 236, p. 34.

[3] Circ. 26 sept. 2014, de présentation des dispositions de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et du décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de consommation, NOR : JUSC1421594C, CIV/14/14.

[4] Pour une présentation plus générale du décret d’application, v. S. Amrani Mekki, Décret sur l’action de groupe. La procédure… enfin !, JCP G 2014, n° 42, 1030 ; D. Mainguy, L’entrée en vigueur des procédures d’action de groupe (D. n° 2014-1081, 24 sept. 2014 ; Circ. 26 sept. 2014), JCP E 2014, n° 43, 787.

[5] K. Haeri et B. Javaux, L’action de groupe à la française, une curiosité, JCP G 2014, n° 13, 375, p. 588.

[6] En application des articles L. 423-4 du Code de la consommation et 770 du Code de procédure civile. Sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, les associations pourraient également être tentées de solliciter, ex parte et avant tout procès, la désignation d’un huissier de justice assisté d’un expert informatique pour se rendre chez le professionnel et saisir le fichier clients sur ses serveurs.

[7] V. notamment CA Paris, 31 oct. 2014, RG n° 2014/19335, Direct Energie c/ GDF Suez et al. Dans cet arrêt, la cour d’appel a confirmé la décision de l’Autorité de la concurrence d’enjoindre à GDF-Suez de communiquer certaines des informations d’un fichier clients spécifique, après avoir considéré que cette production forcée était proportionnée et « qu’elle constitu(ait) en outre l’unique moyen de répondre aux atteintes graves et immédiates qui ont été relevées ».

[8] K. Haeri et B. Javaux, L’action de groupe, une dangereuse réalité, Dr. & patr. 2014, n° 240, p. 3.

[9] K. Haeri et B. Javaux, Actions de groupe : déjà, des dérapages, latribune.fr, 4 nov. 2014.

[10] Pour une analyse de la jurisprudence relative à la communication sur des actions judiciaires en cours, v. notamment M. Malaurie-Vignal, Le journaliste, le commerçant et le procès, in Mélanges Y. Serra, Dalloz, 2006, p. 247 et s.

[11] Ainsi, dans son communiqué de presse du 28 octobre 2014, l’association CLCV indique de manière très liminaire qu’une « centaine de milliers de particuliers sont concernés » par son action contre AXA et l’AGIPI et que leur préjudice individuel, bien que très variable, est « souvent compris entre 1 500 et 4 000 euros », d’où un préjudice global réclamé qui « devrait se situer entre 300 et 500 millions d’euros ».

[12] Le communiqué de presse du 1er octobre 2014 de l’association UFC-Que Choisir précise ainsi, sans aucune réserve, que : « Après avoir fait condamner en décembre 2013, le groupe Foncia par le TGI de Paris pour différents frais de location indus dont ce service d’avis d’échéance, l’UFC-Que Choisir lance donc aujourd’hui la première action de groupe pour obtenir l’indemnisation des centaines de milliers de locataires victimes de cette violation manifeste de la loi de 1989 sur le logement ». Dans son communiqué de presse du 28 octobre 2014, l’association CLCV annonçait que : « C’est dans ce contexte que la société AXA et l’AGIPI ont déjà été condamnées de façon définitive en 2013 pour non-respect du taux minimum garanti dans le contrat CLER ».

[13] J.-P. Dintilhac, La vérité de la chose jugée, in Rapp. C. cass. 2004, Deuxième partie : Études sur le thème de la vérité.

Par Kami Haeri, Avocat associé du cabinet August & Debouzy, Ancien membre du Conseil de l’Ordre, Ancien secrétaire de la Conférence, et Benoît Javaux, Avocat of counsel du cabinet August & Debouzy

Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 243, p. 42 (janv. 2015), Dossier Action de groupe

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