
Trois questions à Anne-Laure Casado, Casado associés, AMCO et élue au Conseil national des barreaux (CNB)
Le 23 janvier dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour la violation de l’article 8 de la Convention qui garantit le droit à la vie privée et familiale. Une décision très importante. Explications.
Quelles étaient les circonstances
de cette affaire ?
Des époux avaient chacun demandé le divorce pour faute aux torts exclusifs de l’autre. En première instance, le juge aux affaires familiales avait considéré qu’en l’absence de preuve des faits allégués, il convenait de prononcer le divorce pour altération définitive du lien conjugal. En appel, la cour d’appel de Versailles a réformé le jugement et dans son arrêt, a prononcé, le divorce aux torts exclusifs de l’épouse, qui avait reconnu avoir cessé d’avoir des relations intimes avec son époux. Cela constituait une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage. L’épouse a formé un pourvoi, faisant notamment valoir son état de santé et le droit de disposer de son corps, mais la Cour de cassation, par un arrêt du 17 septembre 2020, a rejeté le pourvoi, ce qui a conduit à requérante à introduire une requête devant la Cour sur le fondement de l’article 8 de la Convention.
Pourquoi cet arrêt est-il important ?
L’article 212 du Code civil, qui liste les devoirs du mariage, mentionne le respect, la fidélité, le secours et l’assistance mais aucunement une forme de devoir conjugal. L’article 215 du même code édicte une obligation de communauté de vie, mais ne le mentionne pas plus. La notion de devoir conjugal a été dégagée par la jurisprudence et relève d’une conception traditionaliste du mariage, qui aurait pour but de fonder une famille et qui impliquerait donc le consentement à des relations sexuelles. C’est ce qu’il ressort clairement, notamment de l’arrêt rendu par la Cour de cassation du 15 janvier 1997 (Cass. 2e civ., 15 janv. 1997, n° 95-15.740). La jurisprudence des chambres civiles n’instaure pas une présomption de consentement aux relations sexuelles qui découlerait du mariage, mais définit comme une faute le fait de ne pas avoir de relations intimes. C’est en totale contradiction avec la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui sanctionne le viol entre époux.
Pourquoi cette décision était inéluctable ?
La CEDH avait déjà défini, à plusieurs reprises les relations conjugales comme composantes du droit au respect à la vie privée et familiale, et ce, depuis 1985. Par ailleurs, elle considère également que les États membres doivent mettre en place des actions afin de lutter contre les violences entre époux. Il était donc inévitable que, saisie d’une telle affaire, la Cour juge qu’il ne pouvait y avoir de contrainte à avoir des relations sexuelles, fut-ce avec son époux. Il sera compliqué pour la chambre civile de maintenir sa jurisprudence, qui était déjà surprenante à l’heure où l’une des priorités du gouvernement était la lutte contre les violences conjugales.
Propos recueillis par Anne Portmann