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Propos introductifs

Par DROIT&PATRIMOINE

Par Antoine Hontebeyrie, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université d’Évry-Val d’Essonne, Directeur de l’Institut universitaire professionnalisé « Juriste d’entreprise »

 

L’évolution qui s’annonce dans le deuxième des trois volets du projet de réforme du droit des obligations est double. L’implantation d’un régime général des obligations au sein du Code civil est, à elle seule, une innovation. Elle s’accompagne, en outre, de nombreuses modifications aux règles qui tiennent actuellement lieu d’un tel régime.

 

Le Code civil ne connaît pas de « régime général des obligations ». Bien sûr, il contient des dispositions relatives aux modalités, à la protection, à la transmission et à l’extinction des obligations. Ces dispositions tiennent lieu de régime dans une assez large mesure. Mais un véritable régime voudrait qu’elles soient regroupées dans un corps spécifique destiné à régir les obligations indépendamment de leur source. Or, ces dispositions siègent, pour la plupart, au sein du titre III du Livre III du code, où elles sont donc appréhendées dans le prisme des contrats.

 

Pourtant, telle n’était pas tout à fait la vision des principaux inspirateurs du code. Domat et Pothier distinguent en effet nettement les règles qui concernent la naissance de l’obligation, d’une part, et celles relatives à l’obligation elle-même, d’autre part. Aussi cette distinction ne peut-elle avoir été inconnue des rédacteurs du code. Le rapprochement du troisième projet de Cambacérès (an V) et du Code de 1804 montre d’ailleurs qu’elle a été délaissée de façon consciente. Alors que le Livre III de ce projet reprend nettement la distinction[1], le titre III du Livre III du Code de 1804 s’intitule « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général ». Plus que l’obligation en tant que telle, c’est le contrat qui occupe finalement l’esprit du législateur de 1804[2]. L’obligation est alors surtout un vecteur dédié au contrat et à la finalité de toutes les institutions du Livre III : l’acquisition de la propriété[3]. Elle est, en quelque sorte, subordonnée à ces valeurs plus grandes, en tout cas plus emblématiques de l’époque, que sont la liberté (ici, des conventions) et la propriété. Il en va donc logiquement de même des règles qui régissent l’obligation en tant que telle. Voilà pourquoi celles qui composent « l’actuel » régime général se trouvent, pour la plupart, dans le titre relatif au droit commun du contrat. C’est avant tout cet emplacement que modifie le projet d’ordonnance diffusé par la Chancellerie en février 2015. Il s’agit de consacrer, dans le Code civil, un titre spécifiquement dédié au régime général, dont les dispositions sont inspirées, très largement, de celles proposées par le groupe de travail de l’Académie des sciences morales et politiques, c’est-à-dire du projet « Terré »[4], mais aussi du projet « Catala »[5].

 

De fait, la donne est aujourd’hui différente. Trois raisons au moins expliquent cette émergence d’un régime proprement dit. La première est qu’il est rationnel de distinguer l’obligation de sa source. Il ne s’agit évidemment pas de l’en couper complètement. Dans bien des cas, la solution d’un problème donné doit et devra encore être recherchée dans le contrat (ex. : condition, solidarité, etc.). Mais, placer des dispositions traitant de l’obligation pour elle-même dans un ensemble consacré au contrat, c’est inviter à « raisonner contrat », y compris pour les obligations extracontractuelles. À l’inverse, les en extraire n’interdit pas de raisonner ainsi en présence d’obligations contractuelles. Il est donc préférable de faire cette distinction « comme toutes les législations qui visent à être logiques », écrivait Saleilles[6]. Pour qu’elle soit inopportune, il faudrait que les obligations extracontractuelles ne soient pas, ou quasiment pas, concernées par le régime. Or, tel n’est évidemment pas le cas[7]. Et puis, cette distinction est bien ancrée dans la culture juridique. À en croire le calcul d’un auteur, 95 % des manuels la suivent[8]. Quant au régime lui-même, il est depuis longtemps enseigné en tant que tel à l’université, laissant parfois un souvenir indélébile comme peuvent en témoigner plusieurs des contributeurs au présent dossier.

 

La deuxième raison résulte de la perspective globale prise par le projet de réforme. Observons en effet que la construction qui se profile fait bien plus que modifier la teneur des règles relatives au droit des obligations. Structurellement, elle met en place une théorie générale, où sont distingués les sources[9], le régime[10], et enfin la preuve[11] des obligations. Il y a là une grande nouveauté, qui marque un aboutissement dans l’histoire du droit français des obligations[12]. Une telle évolution semble difficilement concevable sans qu’un pan de la théorie soit consacré au régime[13]. On objectera peut-être que la structure actuelle, consistant à inclure l’essentiel de la matière dans le cadre du contrat, ne fonctionne pas si mal et pourrait donc être maintenue. Il nous semble au contraire que l’option inverse est une occasion qu’il faut saisir. Au moins dans la pratique, le droit commun du contrat occupe aujourd’hui une place limitée par la multitude des régimes spéciaux, disons par le droit spécial, notamment hors du Code civil. Cela est beaucoup moins vrai pour le régime des obligations. Le droit spécial n’y est certes pas inexistant[14], mais il est moins envahissant qu’en matière de contrat. Finalement, le régime est, toutes proportions gardées, un droit « plus commun » que ne l’est le droit commun du contrat. De ce point de vue, sa consécration est une bonne nouvelle pour le Code civil, dont elle met davantage en lumière la vocation universelle.

 

La troisième raison tient à la valeur que représente l’obligation, particulièrement dans une économie où le crédit est omniprésent. Pour reprendre une dialectique connue, l’obligation n’est plus seulement un lien, mais aussi un bien, en tout cas un objet de commerce et notamment un moyen de se procurer du crédit. Il est donc normal qu’elle retienne l’attention en tant que telle, surtout de la part d’une réforme dont l’objectif est en grande partie d’ordre économique. On ne s’étonnera donc évidemment pas de ce que le projet se soit intéressé au terme, institution inhérente au crédit, et de ce qu’il en ait un peu remanié les règles en s’inspirant d’ailleurs précisément d’un texte qui régit aujourd’hui le prêt de consommation[15]. On ne s’étonnera pas non plus de voir les règles du terme précédées de celles relatives à la condition, sa voisine de toujours, dont le régime est nettement élagué et modernisé. On comprendra enfin, dans cette « vue économique », que l’honneur ait été donné par le projet aux opérations portant sur les obligations[16]. Elles y connaissent en effet un débridement considérable. La cession de créance est affranchie des formalités de l’article 1690 du Code civil ; la subrogation légale profite à toute personne qui, même sans être tenue à l’obligation, a libéré un débiteur par son paiement ; la cession de dette est légalement consacrée ; la cession de contrat, aussi. On le voit, la circulation simple et rapide de l’obligation ou de sa source est la préoccupation majeure du projet. On perçoit aussi à quel point l’obligation est devenue un objet de commerce et plus largement une valeur.

 

Mais, valeur, l’obligation ne l’est véritablement qu’en puissance. Cela explique la place qui est accordée à son exécution, vers laquelle beaucoup d’institutions du régime convergent sans qu’elle en soit pour autant la finalité première. Les actions oblique et paulienne, qui favorisent cette exécution, ne sortent heureusement pas diminuées du projet. L’hypothèse de la pluralité d’objets, qui peut optimiser l’exécution, se voit attribuer un régime complet et rénové. La pluralité de sujets a aussi cette vertu, à tel point d’ailleurs que le projet semble ne plus y voir qu’une garantie mutuelle. C’est encore vrai de la délégation, même si le projet s’éloigne au contraire de cette dernière perspective. Le paiement, quant à lui, n’y est pas en reste. Il est facilité non seulement au créancier dans les obligations de somme d’argent, mais aussi au débiteur lorsque celui-ci se heurte à l’inertie du créancier. Quant à la compensation, qui permet de contraindre l’un comme l’autre à l’exécution, et parfois même de garantir, elle a été l’objet de beaucoup d’attention. Il est même permis de se demander si le projet n’entend pas la faire opérer de façon totalement automatique, cette fois vraiment à l’insu des parties[17].

 

En somme, le projet retouche, rénove, clarifie, modifie et, parfois, bouleverse. De façon plus globale, il laisse l’impression d’une certaine tendance à la superposition. La cession de créance se rapproche un peu de la subrogation[18] ; le terme, de la condition[19] ; l’obligation solidaire, du cautionnement[20] ; la cession de dette est consacrée et la délégation reconduite, alors qu’elles remplissent des fonctions très proches ; la cession de contrat aussi est consacrée, mais appréhendée dans le prisme de la cession de créance et de la cession de dette[21]. On peut se demander s’il n’y a là qu’un phénomène anodin ou, au contraire, le signe d’un mouvement plus profond d’étiolement des catégories actuelles.

 

Quoi qu’il en soit, pour l’heure, le présent dossier voudrait montrer les changements qui s’annoncent et les principales questions qu’ils soulèvent. Il n’a pas été jugé opportun d’embrasser l’ensemble du volet consacré au régime des obligations. Les contributions y auraient probablement perdu en profondeur, faute de place. Ainsi a-t-on laissé de côté l’impossibilité d’exécuter, la remise de dette, la confusion et la novation, au profit du paiement et de la compensation, manifestement plus dignes d’intérêt en l’occurrence. De même, il a semblé que les restitutions, bien qu’envisagées par le projet dans le régime des obligations, relevaient davantage du contrat et du quasi-contrat, et qu’elles devaient donc céder leur place à d’autres institutions appartenant indiscutablement à ce régime. Enfin, malgré le fort degré d’abstraction de la matière, une optique pratique et pédagogique a été privilégiée par tous ceux qui ont contribué à ce dossier. Il reste à les en remercier chaleureusement, soussigné mis à part, et à remercier aussi la rédaction de Droit & patrimoine d’avoir ouvert ses colonnes à ce thème aussi passionnant que crucial.

[1] Les sources (« causes et effets » des « obligations en général ») en titre I (la convention et la loi, dans laquelle sont classés les quasi-contrats et la responsabilité), puis les obligations solidaires en titre II, et l’extinction des obligations en titre IV.

[2] V. F. Zénati-Castaing et Th. Revet, Cours de droit civil, Obligations, Régime, PUF, 2013, n° 3, spécialement p. 25.

[3] Ph. Malaurie et L. Aynès, Les biens, LGDJ, 6e éd., n° 551.

[4] F. Terré (dir.), Pour une réforme du régime général des obligations, Dalloz, 2013, p. 79. Adde L. Andreu (dir.), La réforme du régime général des obligations, Dalloz, 2011.

[5] Qui n’envisageait toutefois pas de régime des obligations en tant que tel. Pour une comparaison des deux projets, v. L. Andreu, Les projets de réforme et le régime général de l’obligation : entre tradition et modernité, RLDC 2014/113, p. 96.

[6] R. Saleilles, Étude sur la théorie générale de l’obligation d’après le premier projet de Code civil pour l’Empire allemand, préf. H. Capitant, LGDJ, 3e éd., 1925, réimpr. La Mémoire du droit, 2001, n° 8. Sur d’autres systèmes, étrangers notamment, v. Ph. Rémy, Plans d’exposition et catégories du droit des obligations. Comparaison du projet Catala et des projets européens, in F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit des contrats, précité, p. 83, spécialement n° 12.

[7] L. Andreu, Les projets de réforme et le régime général de l’obligation : entre tradition et modernité, précité, spécialement n° 4. V. cependant F. Chénédé, Les commutations en droit privé, Contribution à la théorie générale des obligations, Economica 2008, préf. A. Ghozi.

[8] L. Andreu, Les projets de réforme et le régime général de l’obligation : entre tradition et modernité, précité, eod. loc.

[9] Projet, art. 1101 à 1303-4.

[10] Projet, art. 1304 à 1353-8.

[11] Projet, art. 1354 à 1386-1.

[12] V. J.-Ph. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., nos 438 et s.

[13] Rappr. Ph. Rémy, Plans d’exposition et catégories du droit des obligations. Comparaison du projet Catala et des projets européens, précité, spécialement nos 10 et s.

[14] Cession « Dailly », subrogation dans l’assurance, règles des procédures collectives touchant au terme, aux remises, etc.

[15] C. civ., art. 1901.

[16] On s’inspire ici de la notion d’« opérations sur créances » utilisée par le projet « Catala » (art. 1251 et s.), v. H. Synvet, in Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, Rapport au garde des sceaux, 22 sept. 2005, p. 58. V. aussi Ph. Dupichot, Pour une classification fonctionnelle des opérations sur créances dans le nouveau régime général des obligations, Dr. & patr. 2015, n° 246, p. 20 et s.

[17] C’est ainsi que la présente l’actuel article 1290 du Code civil, mais il est très largement admis et jugé que la compensation doit être invoquée par l’une des deux parties, v. J. François, Les obligations, Régime général, Economica, 3e éd., nos 76 et s.

[18] V. Projet, art. 1324-4, al. 1er et 3, et 1335, al. 1er et 2.

[19] V. Projet, art. 1304, al. 1er, et 1305-1, al. 2.

[20] V. Projet, art. 1310, al. 1er.

[21] V. Projet, art. 1340, al. 4.

Par Antoine Hontebeyrie, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université d’Évry-Val d’Essonne, Directeur de l’Institut universitaire professionnalisé « Juriste d’entreprise »

Paru in Dr. & Patr. 2015, n° 249, p. 34 (juillet-août 2015), Dossier Régime général des obligations

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