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SEPTEMBRE 2014-OCTOBRE 2015 : AFFAIRES À SUIVRE (DU CARACTÈRE FEUILLETONESQUE DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ)

Par DROIT&PATRIMOINE


Le clou de la période est l’entrée en application du règlement « Successions »(1), qui modifie le droit français dans une mesure dépassant largement les limites de cette chronique. Restreinte aux conflits de lois, celle-ci traitera de l’actualité jurisprudentielle relative aux contrats (I) et aux successions qui échappent encore au nouveau règlement (II). Au-delà, méritent d’être signalés, mais sans plus, un arrêt sur la détermination du titulaire initial de droits voisins sur des œuvres musicales(2), un autre sur la responsabilité non contractuelle(3) et un troisième concernant la détermination de la loi applicable à un régime matrimonial non régi par la Convention de La Haye du 14 mars 1978(4).



« Dialogue » des juges, nouveaux « épisodes », « chroniques » tenues par des commentateurs qui ne sont rien d’autre que des « critiques »… Il en va du droit international privé comme de la production littéraire ou de l’industrie audiovisuelle : le feuilleton a été et reste à la mode. La quasi-totalité des affaires mentionnées ici ont déjà figuré (ou même eu un premier rôle) dans cette chronique et elles feront leur réapparition à la saison suivante, ou à celle d’après. Voici donc quelques questions de droit international privé en suspens(e).


I –

GROUPES DE CONTRATS : LIAISONS PÉRILLEUSES

Les règles de conflit de lois d’aujourd’hui prennent le contrat pour unité de base. Il est délicat de penser à un niveau plus petit : si le dépeçage de la substance du contrat (c’est-à-dire l’application de différentes lois à différents morceaux d’un seul contrat) est admis, ce n’est pas sans réserve. Mais il est encore plus difficile, en droit international privé, de raisonner sur les ensembles contractuels. Faut-il tendre vers une loi unique, du moins lorsque les contractants n’ont pas choisi, ou pas tous choisi, leur lex contractus ? Les clauses d’exception (A), prévues dans les principaux textes contemporains(5), pourraient-elles permettre d’atteindre une telle unité législative ? Et lorsque les contrats s’articulant entre eux sont régis par des lois différentes, à laquelle confier la tâche de dire si la partie à un contrat peut agir directement contre une partie à un autre contrat (B) ?


A –

LES CLAUSES D’EXCEPTION ET LA BOÎTE DE PANDORE

La clause d’exception est un mécanisme, encore assez récent, qui a pour fonction de corriger, dans un cas d’espèce, la désignation de la loi applicable au contrat telle qu’opérée par un facteur de rattachement standard(6). À la sécurité juridique qu’apporte ce rattachement est apporté l’ajustement du sur-mesure, une sorte de justice du cas concret dans le domaine du conflit de lois, élargissant la recherche de la loi applicable à « l’ensemble des circonstances » (Conv. Rome, art. 4.5 ; Règl. Rome I, art. 4.3). Mais dans cette dialectique de la prévisibilité et de la flexibilité, tout est affaire de dosage. Or, par l’arrêt « Haeger & Schmidt » de 2014, rendu au sujet de la Convention de Rome, la Cour de justice a ouvert la possibilité de tenir compte, dans cette appréciation panoramique, des liens qui existent entre le contrat en cause et d’autres accords(7). Deux arrêts montrent comment la Cour de cassation envisage cette nouvelle possibilité : l’un est rendu dans l’affaire « Haeger & Schmidt », après l’arrêt de la Cour de justice (1°).


1°/

Commission de transport et sous-commission

Pour les habitués de cette chronique qui ne seraient pas lassés de lire en quoi la structure de l’article 4 de la Convention de Rome est problématique, il sera rappelé que les rattachements standard, énoncés aux paragraphes 2, 3 et 4 et présentés comme des présomptions, sont pris en tenaille entre l’énoncé du principe de proximité, par définition très vague, et une clause d’exception assez lâche. En 2009, la Cour de justice avait redonné un peu de tenue à cet ensemble, en imposant aux juges des États membres de déterminer d’abord la loi applicable en vertu des rattachements standard pour, éventuellement, les écarter s’il résultait « clairement » de l’ensemble des circonstances que le contrat en cause avait des liens plus étroits avec un autre pays(8). Malheureusement, interrogée sur la loi applicable à un contrat de sous-commission de transport, la Cour a quelque peu faibli dans l’arrêt « Haeger & Schmidt ». Omettant le précieux adverbe, elle a indiqué aux juges nationaux qu’ils devaient « comparer les liens existant entre ce contrat et, d’une part, le pays dont la loi est désignée par la présomption et, d’autre part, l’autre pays concerné »(9). À ce titre, elle leur a enjoint de « tenir compte de l’ensemble des circonstances, y compris l’existence d’autres contrats liés au contrat en cause ». Cette inclusion des liens inter-contractuels dans le jeu de la clause d’exception posée par la Convention de Rome ne coulait pas de source et c’est à n’en pas douter le libellé du préambule du règlement « Rome I » qui a influencé la Cour de justice(10).

Or, dans son arrêt du 10 février 2015, la Chambre commerciale, recevant la réponse de la Cour de justice et devant la mettre en œuvre dans l’affaire pendante en France, retouche légèrement la formule (Cass. com., 10 févr. 2015, n° 12-13.052, à paraître au Bulletin  001). En effet, elle prescrit à la cour d’appel de renvoi de « procéder à une comparaison effective, en fonction de l’ensemble des circonstances, des liens existant entre le contrat et, respectivement, l’Allemagne (désignée par le rattachement standard, en tant que pays du sous-commissionnaire), la Belgique et la France (autres pays concernés par les contrats de commission et de sous-commission) pour déterminer celui de ces pays avec lequel ils étaient les plus étroits ». Certes, la Chambre commerciale casse l’arrêt qui lui était soumis pour ne pas avoir procédé à une telle recherche. Cependant, elle place le rattachement standard et les autres points de contact sur un pied d’égalité, les mettant en compétition pour incarner les liens « les plus étroits ». Parachevant peut-être l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice, de l’arrêt « ICF » à l’arrêt « Haeger & Schmidt », la Chambre commerciale dépouille de toute primauté le rattachement standard et retire aux juges du fond toute prise ferme. Adieu, prévisibilité ! Un adverbe vous manque, et tout est détraqué.


EXTRAITS


« Vu l’article 4, paragraphes 2, 4 et 5, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; (…)

Attendu qu’en se déterminant ainsi (en faveur du droit français), (…), la cour d’appel qui, (…), aurait dû procéder à une comparaison effective, en fonction de l’ensemble des circonstances, des liens existant entre le contrat et, respectivement, l’Allemagne, la Belgique et la France pour déterminer celui de ces pays avec lequel ils étaient les plus étroits, n’a pas donné de base légale à sa décision (…) »




2°/

Contrat principal et cautionnement

La première chambre civile n’a pas tardé à s’emparer de la nouvelle lecture donnée par la Cour de justice de l’article 4.5 de la Convention de Rome. Dans un arrêt du 16 septembre 2015, la Cour de cassation censure la cour d’appel de Besançon pour avoir considéré que « le cautionnement est un contrat autonome et que c’est bien avec la France que le contrat litigieux présentait les liens les plus étroits, dès lors que la caution (…) y résidait lors de sa conclusion et que la prestation était susceptible d’y être exécutée en cas de défaillance du débiteur principal » (Cass. 1re civ., 16 sept. 2015, n° 14-10.373, à paraître au Bulletin 002). Pour la première chambre civile, au contraire, le contrat de cautionnement en cause avait des liens plus étroits avec l’Italie qu’avec la France dès lors que « le contrat de cautionnement litigieux, rédigé en italien, avait été conclu en Italie, que le prêteur avait son siège dans ce pays, que l’emprunteur y avait sa résidence habituelle et que le contrat de prêt dont l’acte de cautionnement constituait la garantie était régi par la loi italienne ». Non seulement la première chambre civile prend en compte la liaison du cautionnement avec le contrat principal, régi par le droit italien, mais aussi la langue de rédaction du cautionnement, le lieu de sa conclusion et le siège des parties au contrat principal(11).


EXTRAITS


« Vu l’article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

Attendu, selon ce texte, qu’en l’absence de choix par les parties, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ; qu’est présumé présenter de tels liens celui où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ; que cette présomption est écartée lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays ;

Attendu que, pour déclarer la loi française applicable au contrat de cautionnement, l’arrêt retient que le cautionnement est un contrat autonome et que c’est bien avec la France que le contrat litigieux présentait les liens les plus étroits, dès lors que la caution, M. Y., y résidait lors de sa conclusion et que la prestation était susceptible d’y être exécutée en cas de défaillance du débiteur principal ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le contrat de cautionnement litigieux, rédigé en italien, avait été conclu en Italie, que le prêteur avait son siège dans ce pays, que l’emprunteur y avait sa résidence habituelle et que le contrat de prêt dont l’acte de cautionnement constituait la garantie était régi par la loi italienne, ce dont il résultait que le contrat de cautionnement en cause présentait des liens plus étroits avec l’Italie qu’avec la France, la cour d’appel a violé le texte susvisé (…) »


Plusieurs éléments jugés significatifs par la première chambre civile devraient pourtant être écartés, d’autant plus que, dans l’arrêt « Haeger & Schmidt », la Cour de justice a souligné que les circonstances à prendre en considération au titre de la clause d’exception doivent être des « éléments objectifs ». Ceci devrait évincer la langue du contrat, dont la portée était déjà limitée sous l’empire du droit commun français, puisqu’elle ne venait qu’à l’appui d’autres éléments décisifs ; dans le cadre de l’article 4.5 de la Convention de Rome, la langue utilisée par les parties est un élément subjectif, qui fait conjecturer sur la volonté des parties et qui n’y a donc pas sa place(12). Le lieu de conclusion du contrat n’est pas convaincant non plus, car sa valeur localisatrice est faible et même nulle (pour un engagement de caution). Ici encore, l’indice serait en réalité plus subjectif qu’objectif : contractant en Italie, la caution aurait dû s’attendre, suppose-t-on, à ce que son engagement soit régi par la loi italienne.

Au rang des éléments réellement objectifs se trouvent les sièges (ou résidences habituelles, lato sensu) du créancier et du débiteur principal ; ils comptent parce qu’ils permettent d’extrapoler la circulation de valeurs monétaires (en paiement du créancier et sur la base d’une action récursoire contre le débiteur principal). La monnaie de compte pourrait également être retenue, à supposer que les pays de résidence des protagonistes n’aient pas une monnaie commune. Pour autant, une fois dépouillé du renfort (erroné) de la langue et du lieu de conclusion, le fait que les parties au contrat principal résident dans un pays autre que celui de la caution suffit-il à faire régir le contrat de cautionnement par la loi de ce pays quand elle est aussi celle du contrat garanti ? Il pourrait s’agir là de « liens plus étroits », mais ira-t-on jusqu’à dire, comme le demandait la Cour de justice en 2009, qu’il s’agit de liens « clairement plus étroits » et, a fortiori, comme l’exige le règlement « Rome I », que ces liens sont « manifestement plus étroits » ?

Il faut ajouter qu’après avoir censuré la décision d’appel pour avoir laissé le cautionnement sous l’empire de la loi française, en tant que loi du pays de résidence habituelle de la caution, la première chambre civile prononce la cassation sur un autre chef(13). La Cour de cassation refuse en effet que le statut de loi de police, au sens de l’article 7 de la Convention de Rome, soit conféré à l’article 1326 du Code civil, ainsi qu’aux articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation (Cass. 1re civ., 16 sept. 2015, n° 14-10.373, à paraître au Bulletin  003). Certes, ces dispositions françaises ont pour but de protéger la caution mais leur « observation (n’)est (pas) nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable »(14). La Cour vient briser ici un courant assez fort dans la jurisprudence, qui portait les tribunaux à ériger (trop) facilement en loi de police toute disposition consumériste du droit français. Le coup d’arrêt est donc assez violent mais il y avait déjà eu quelques signes du déclin des lois de police en droit français. Ainsi, la Chambre commerciale avait refusé cette qualité à l’article L. 132-6 du Code de commerce(15). Par ailleurs, la Cour de cassation évitait d’envisager en ces termes la responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie(16). Dans ces arrêts, n’étaient toutefois concernés que des professionnels jusqu’à présent. Ici, c’est la caution personne physique qui se voit refuser la protection du formalisme français.


EXTRAITS


« Vu l’article 3 du Code civil, ensemble l’article 1326 du même code, les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation et l’article 7, § 2, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;

Attendu que ni l’article 1326 du Code civil, qui fait obligation à la partie qui s’engage seule envers une autre à lui payer une somme d’argent de porter sur le titre constatant cet engagement sa signature ainsi qu’une mention écrite par elle-même de la somme en toutes lettres et en chiffres, ni les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, lesquels imposent à la personne physique qui se porte caution envers un créancier professionnel de faire précéder sa signature d’une mention manuscrite, les mentions prévues par ces textes étant destinées à assurer une meilleure protection de la personne qui s’engage, ne sont des lois dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable, et de constituer une loi de police ;

Attendu que, pour déclarer la loi française applicable au contrat de cautionnement, l’arrêt retient encore que les textes du droit français relatifs à la protection de la caution et au formalisme de son engagement ont un caractère impératif ;

En quoi la cour d’appel a violé les textes susvisés (…) »


L’arrêt du 16 septembre 2015 fait donc un triste sort aux cautions personnes physiques résidant habituellement en France : leur engagement contractuel est facilement attiré sous l’empire de la loi du contrat garanti et les mentions manuscrites requises par le Code de la consommation n’ont pas l’impérativité des lois de police. En guise de consolation, elles devront avoir à l’esprit que, sous l’empire du règlement « Rome I » (applicable aux contrats conclus à partir du 17 décembre 2009), la caution s’engageant « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle » vis-à-vis d’un professionnel, pourra, sous certaines conditions, être considérée comme un consommateur au sens du règlement et bénéficier – faute de choix de loi et même, dans une moindre mesure, en cas de choix – des dispositions impératives prévues par la loi du pays de sa résidence habituelle, sans qu’aucune clause d’exception ne vienne remettre en cause cette désignation (Règl. Rome I, art. 6). Et il en ira de même pour les règles de forme impératives prescrites dans le pays où la caution réside habituellement (Règl. Rome I, art. 11.4). Alors, dans l’affaire tranchée le 16 septembre 2015, fallait-il vraiment faire ouvrir la boîte de Pandore et, sur la base d’éléments pour partie subjectifs, admettre que la loi du prêt gouvernait l’engagement de la caution ?




B –

LES ACTIONS DIRECTES ET LE DILEMME DE BURIDAN

Les actions directes soulèvent de vrais dilemmes en droit international privé car, dérogeant à l’effet relatif d’un contrat, elles permettent à un tiers à ce contrat d’en réclamer l’exécution. Cette dérogation n’est pas admise sans raison et cette raison gît dans les liens unissant le tiers et le cocontractant du défendeur à l’action directe : par exemple, le tiers est employé comme sous-traitant par un entrepreneur principal lié à un maître de l’ouvrage ; le tiers est la victime d’agissements d’une personne qui a souscrit un contrat auprès d’un assureur de responsabilité. Dans un contexte international, on en vient donc à se demander si l’action directe relève de la loi du contrat conclu par ledit défendeur (contrat dont l’exécution est réclamée) ou de la loi gouvernant la relation entre le demandeur et le cocontractant du défendeur (relation bénéficiaire de l’action directe), voire d’une autre loi encore. Un point semble sûr, c’est que le défendeur à l’action directe (le maître de l’ouvrage, assigné par le sous-traitant, l’assureur de responsabilité assigné par la victime de l’assuré) ne sera tenu envers le demandeur qu’à la mesure de ce que prévoit la loi du contrat auquel il est partie (le contrat d’entreprise, le contrat d’assurance de responsabilité). Mais ceci ne concerne que l’exercice concret de l’action directe ; quid de l’existence même de cette action ? Vers quelle loi se tourner pour savoir si le sous-traitant est fondé à agir directement en paiement contre le maître de l’ouvrage à hauteur de ce que lui doit encore l’entrepreneur principal ? Quelle loi dira si le créancier d’un contrat mal exécuté par son débiteur peut agir directement contre l’assureur du débiteur ? Selon que l’action directe est en paiement (1°) ou en indemnisation (2°), la jurisprudence ne résout pas de la même manière le dilemme de Buridan.


1°/

Actions directes en paiement

C’est une affaire déjà exposée dans ces colonnes(17) qui fournit l’occasion à la cour d’appel de Paris (CA Paris, 19 déc. 2014, RG n° 2011/09999  004) de se prononcer sur la loi applicable à l’action directe exercée par un sous-traitant contre le maître d’ouvrage. Nul n’ignore que la Chambre mixte de la Cour de cassation a jugé, en 2007, que la loi française n° 75-1334 du 31 décembre 1975 (JO 3 janv. 1976) est une loi de police(18). Toutefois, encore faut-il que la situation de sous-traitance présente un « lien de rattachement » avec la France(19). Un tel lien existe lorsque le sous-traitant intervient sur ou pour un chantier de construction en France(20). Il est absent lorsque, comme dans l’affaire présentée aux magistrats parisiens, l’entrepreneur principal, établi en France, a confié la fabrication de matériel de télécommunication, demandée par un maître d’ouvrage italien, à un sous-traitant lui-même italien. Pour citer la cour sur ce point, « ni la circonstance que le recours à la société Urmet (le sous-traitant italien) ait permis à la société de droit français CS Telecom, dont le siège social est situé à Paris, de remplir ses obligations, et de recevoir en contrepartie le paiement de ses factures, ni le fait que le financement de la société CS Telecom soit assuré par des banques françaises, ne suffisent à caractériser l’existence d’un tel lien, dès lors qu’ainsi qu’il a été dit, les critères de rattachement doivent s’apprécier au regard de l’objectif de protection de la sous-traitance (sic) poursuivi par la loi ; qu’en effet, le financement de l’entrepreneur principal et la satisfaction de ses objectifs économiques ne répondent pas au but ainsi poursuivi ; que par ailleurs, l’Italie est au premier chef, le pays bénéficiaire économique de l’opération de sous traitance ; que les terminaux ont été fabriqués sur le territoire italien par les ingénieurs d’Urmet et installés sur les réseaux italiens de la société Telecom Italia (le maître d’ouvrage). » La loi de 1975 a beau être considérée comme loi de police, cette situation litigieuse-là ne tombe pas dans son champ d’application, champ qui se dessine – comme le dit la cour d’appel à juste titre – en fonction de l’objectif poursuivi par le législateur français. L’application super-impérative de la loi de 1975 étant écartée, la règle de conflit de lois aurait-elle peut-être pu y mener tout de même ? Non, selon la cour d’appel de Paris, qui confie le principe même de l’action directe à la loi applicable au contrat de sous-traitance et, en l’espèce, à la loi choisie par les parties à ce contrat (la loi suisse, qui ne connaît pas une telle action). La solution est assez classique(21) et justifiée par l’idée que l’action directe est instituée pour garantir le paiement d’une créance ; il est donc logique que la loi de celle-ci détermine si le créancier peut bénéficier de cette garantie.


EXTRAITS

 004 CA Paris, 19 déc. 2014, RG n° 2011/09999

« Mais considérant qu’il est rappelé que les dispositions de l’article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, ne peuvent être opposées aux banques cessionnaires qu’à la condition que la loi française soit applicable au contrat liant le cédant, la société CS Telecom, et le sous-traitant, la société Urmet (arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2006) ; (…)

Sur l’action directe de la société Urmet :

Considérant que la société Urmet soutient également qu’elle est en droit d’opposer aux banques (…) le bénéfice de l’action directe expressément prévue à l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Mais considérant (…) qu’enfin, la société Urmet ne peut se prévaloir du bénéfice de l’action directe de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 ; qu’en effet, pour le même motif que précédemment, tiré du défaut de lien de rattachement suffisant de l’opération de sous-traitance avec la France, au regard de l’objectif de protection du sous traitant pour lequel l’article 12 de cette loi a été institué, ce texte n’a pas vocation à s’appliquer ; qu’il résulte de ces développements que les cessions de créances consenties aux banques par la société CS Telecom sont opposables à la société Urmet (…) »




2°/

Actions directes en indemnisation

L’action directe intentée par la personne lésée contre l’assureur du responsable est censée, traditionnellement, reposer sur la même articulation : son principe dépendra de la loi applicable à la relation entre la victime et le responsable et, si cette loi ouvre une action directe à la victime contre l’assureur du responsable, c’est la loi du contrat d’assurance qui fixera l’étendue de ce que doit verser, directement, l’assureur à la victime. Plusieurs textes supranationaux, dans des domaines particuliers, s’écartent de ce schéma classique. La Convention de La Haye sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière, du 4 mai 1971, et le règlement « Rome II » sur la loi applicable aux obligations non contractuelles(22) préfèrent offrir des rattachements alternatifs. Pour savoir si la victime peut agir directement contre l’assureur du responsable, différentes lois sont à considérer : l’article 18 du règlement « Rome II », par exemple, ouvre une action directe à la victime « si la loi applicable à l’obligation non contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit ». Il suffit que l’une d’elles admette la possibilité d’agir directement contre l’assureur pour que la victime puisse s’en prévaloir (CJUE, 9 sept. 2015, aff. C-240/14, Prüller-Frey  005). C’est une certaine faveur pour la victime qui conduit à cette compétence alternative.


EXTRAITS


« L’article 18 du règlement (CE) n° 864/2007 (…) doit être interprété en ce sens qu’il permet, dans une situation telle que celle au principal, l’exercice, par une personne lésée, d’une action directe contre l’assureur de la personne devant réparation, lorsqu’une telle action est prévue par la loi applicable à l’obligation non contractuelle, indépendamment de ce qui est prévu par la loi applicable au contrat d’assurance choisie par les parties à ce contrat »


Toutefois, ces textes concernent des hypothèses où la responsabilité en cause est de nature délictuelle ou quasi-délictuelle. S’agissant du cas où un créancier contractuel était victime d’une inexécution du contrat par son débiteur, la Cour de cassation, dans un arrêt critiqué de 2000, était revenue à l’articulation classique, à ceci près que la loi (unique, donc) à consulter sur le principe de l’action directe était la loi du lieu du fait dommageable(23). La responsabilité du débiteur défaillant étant de nature contractuelle, il était difficile de comprendre pourquoi la loi du lieu du fait dommageable était applicable, d’autant plus qu’elle n’était pas forcément aisée à déterminer ou prévisible pour les parties (ni, a fortiori, pour l’assureur du responsable). Dans un arrêt de 2015, la première chambre civile modifie profondément son approche (Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, n° 14-22.794 006). D’une part, elle ouvre, « en matière contractuelle » aussi, un rattachement alternatif s’agissant du principe même de l’action directe et, d’autre part, elle repousse la loi du lieu du fait dommageable au titre des lois à consulter sur ce sujet. On y trouve au contraire « la loi applicable au contrat d’assurance », comme dans les textes supranationaux précités, et, d’autre part, « la loi applicable à l’obligation contractuelle (inexécutée) ». L’éviction de la loi du lieu du fait dommageable est heureuse. L’admission d’un rattachement alternatif est plus surprenante : les tribunaux français laissent plutôt l’initiative du procédé au législateur (national ou autre), en raison du parti pris en faveur du demandeur qu’il incarne. Les textes supranationaux précités ont certainement eu un effet de modèle sur la Cour de cassation. Il reste que l’arrêt se glisse un peu facilement entre les gouttes des textes européens (le règlement « Rome II », écarté parce qu’il ne concerne pas, matériellement, la « responsabilité contractuelle », et la Convention de Rome, pourtant applicable au contrat inexécuté). Est-ce à dire que ce type d’action directe prospère dans un angle mort du droit international privé européen ? Il n’est pas certain que la Cour de justice, si on songeait à l’interroger, soit de cet avis.


EXTRAITS


« Vu les articles 9, 10 et 11 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, ensemble l’article 3 du Code civil ;

(…), en matière de responsabilité contractuelle, (…) la personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit, la cour d’appel a violé les textes susvisés (…) »






II –

SUCCESSIONS : PERSONNAGES RÉCURRENTS

Un chapitre s’est clos cet été et un autre s’est ouvert. Les bases du scénario ont été revues mais les intrigues tourneront toujours autour des mêmes personnages(24) : parmi eux, qualification et renvoi, d’un côté (A), réserve héréditaire, ordre public international et fraude à la loi, de l’autre (B).


A –

QUALIFICATION ET RENVOI

Les règles du droit international privé ne sont pas faciles à manier. Il ne faut pas se tromper de qualification (1°) et il faut parfois se plier au jeu du renvoi (2°).


1°/

Qualification

Forme, fond, force probante : la nuance est parfois subtile, comme l’illustre un nouveau rebondissement dans la contestation d’un testament dactylographié homologué par un fonctionnaire tunisien (Cass. 1re civ., 28 mai 2015, n° 14-15.607  007). Le défunt, de nationalité libyenne et ayant vécu en France, était décédé en 1986 (assassiné, semble-t-il). Un enfant naturel contestait un testament daté de 1985, alors que l’épouse du défunt invoquait ce document qui l’instituait légataire universelle. La discussion avait, aux premiers stades, été placée sur le terrain de la validité formelle dudit document et s’était déroulée au regard de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961. Au titre des rattachements alternatifs que celle-ci admet, ni le droit tunisien (en tant que loi du lieu d’établissement du testament), ni le droit français (en tant que loi du lieu du domicile du testateur) ne pouvaient considérer un tel acte comme formellement régulier. Restait le droit libyen (en tant que loi nationale du défunt), qui admettait la forme écrite, la forme orale et, même, l’expression de volonté par « une mimique » non équivoque. En appel, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait donc tenu le testament pour valable en la forme, en application du droit libyen. Par un premier arrêt(25), la Cour de cassation avait censuré cette décision, car les magistrats aixois avaient refusé de vérifier la conformité du droit libyen à l’ordre public international (méconnaissant ainsi l’article 7 de laConvention de 1961). Sur renvoi, la cour d’appel de Lyon reprend donc le raisonnement et tente de le pousser dans la direction indiquée par la Cour de cassation : le document produit n’est pas valable au regard du droit tunisien mais il constitue tout de même un écrit au sens du droit libyen. La conformité à l’ordre public international tourne un peu court, la Cour se limitant à écarter la réserve formulée par la France, sur le fondement de l’article 10 de la Convention de 1961, en vertu de laquelle la France ne reconnaît pas en principe les dispositions testamentaires orales attribuées à ses ressortissants. Il est vrai qu’in abstracto, le libéralisme formel du droit libyen peut choquer mais cela ne suffit pas : l’atteinte aux principes essentiels du droit français doit être démontrée in concreto. En l’espèce, il n’y avait eu ni mimique ni formulation orale : un écrit était bel et bien produit, la signature qu’il portait était même homologuée. Cela pouvait-il justifier une mise à l’écart sur le fondement d’une violation de l’ordre public international formel ? La cour d’appel de Lyon ne l’a pas pensé. Estimant la question de la régularité formelle tranchée (de manière positive, grâce au droit libyen), les magistrats lyonnais ont alors glissé sur le terrain de l’appréciation de la force probante de l’écrit qui leur était présenté. Ayant réuni un certain nombre de circonstances troublantes, ils ont considéré (implicitement au regard du droit français pris comme loi du for) qu’elles privaient « cet acte de toute sécurité juridique quant à son efficacité en France » puis, changeant encore de registre, ils conclurent en constatant « l’absence de validité de ce testament ». C’est cette conclusion qui conduit la Cour de cassation à censurer leur arrêt, rappelant que « les conditions de validité au fond » « relèvent de la loi successorale » (en l’espèce, la loi française). On se prend à penser que, si les magistrats lyonnais s’étaient contentés de dénier toute force probante à l’écrit produit, leur décision aurait été maintenue… Mais il est vrai que la mise en doute de la force probante de cet écrit révélait le vice fondamental qui lui était imputé, à savoir ne pas correspondre à la volonté du défunt, ce qui touche à la substance de la dévolution testamentaire. L’ironie de l’histoire est que la cour d’appel de Paris, dans le second renvoi après cassation, va devoir examiner le testament litigieux à la lumière des exigences de fond posées par le droit français, alors que ce même droit tient déjà l’acte pour irrégulier en la forme et (à tout le moins) pour peu convaincant sur le plan de la preuve.


EXTRAITS


« Vu l’article 1 de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires, ensemble l’article 3 du Code civil ;

Attendu que, pour déclarer non valable en France l’acte du 16 juillet 1985 présenté par Mme Y… comme étant le testament de Mohamed X…, la cour d’appel, après avoir déclaré la loi libyenne applicable à la forme en tant que loi nationale du testateur, a constaté l’absence de validité de ce testament ;

Qu’en statuant ainsi, alors que les lois internes dont le testateur peut observer les formes pour rédiger un testament valable ne concernent pas les conditions de validité au fond, qui relèvent de la loi successorale, la cour d’appel a violé le texte susvisé (…) »




2°/

Renvoi

Après les manipulations génétiques que le procédé a connues ces dernières années, il est réconfortant de retrouver le renvoi dans une illustration fluide, tout à la fois évocatrice du modèle original (l’arrêt « Forgo »(26)) et préfigurant la mise en œuvre du règlement « Successions ». L’espèce était simple : un Français était allé s’installer au Maroc ; à son décès, il laisse des avoirs bancaires détenus auprès d’une banque française ; son épouse et son frère se disputent la qualité d’héritier. La première chambre civile admet alors le jeu du renvoi au premier degré, c’est-à-dire l’enchaînement de la règle de conflit de lois française propre aux successions mobilières, désignant en l’espèce la loi marocaine du dernier domicile du défunt, puis de la règle de conflit de lois marocaine, « renvoyant » à la loi nationale du défunt (Cass. 1re civ., 16 sept. 2014, n° 13-16.627  008). Nulle trace ici d’une succession immobilière et d’immeubles au Maroc ; par voie de conséquence, le renvoi conditionné par l’unité successorale et par l’unicité de loi applicable mis en place par l’arrêt « Riley »(27) n’avait pas de prise. Le seul facteur d’hésitation dans cet aller-retour était lié au contenu même du droit international privé marocain (compte tenu de la confession musulmane du défunt et de sa qualité d’époux d’une Marocaine, le pourvoi suggérait que le droit marocain aurait pu accepter sa compétence et ne pas renvoyer à la loi nationale). Mais la Cour de cassation écarte l’argument, car s’agissant de l’interprétation du droit étranger (en ce compris le droit international privé étranger), les juges du fond sont souverains et seule une dénaturation, non alléguée ici, aurait pu déclencher la censure de l’arrêt d’appel. Une telle espèce pourra se reproduire sous l’empire du règlement « Successions », bien qu’en partant d’une règle de conflit de lois différente : c’est, pour toute la succession (mobilière et immobilière), la loi de la dernière résidence habituelle du défunt qui sera applicable (art. 21.1, sauf choix par lui de sa loi nationale) et, si cela désigne la loi d’un État tiers à l’Union européenne, l’article 34 permettra de faire application de la loi de l’État membre lui-même désigné par la règle de conflit étrangère.


EXTRAITS


« Attendu qu’en se fondant sur le dahir du 12 août 1913 relatif au statut civil des étrangers qui n’a pas été abrogé par le Code de la famille de 2004 pour désigner la loi de la nationalité du défunt comme applicable à la détermination des successibles, la cour d’appel a précisé les dispositions du droit marocain sur lesquelles elle se fondait et dont l’application échappe, sauf dénaturation qui n’est pas alléguée, au contrôle de la Cour de cassation ;

Et attendu que la convention franco-marocaine du 10 août 1981 n’envisage pas le statut familial dans son entier mais se cantonne à la capacité, au mariage et à sa dissolution pour les conflits de lois (…) »





B –

RÉSERVE HÉRÉDITAIRE, ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL ET FRAUDE À LA LOI

La décision du Conseil constitutionnel qui a abrogé le droit de prélèvement(28) institué par la loi du 14 juillet 1819 a privé les héritiers français d’un moyen susceptible de reconstituer, en tout ou partie, la réserve héréditaire qu’ignorent un certain nombre de législations étrangères (notamment de la famille de common law). Cette disparition explique que d’autres outils soient désormais sollicités par les héritiers français : la contrariété à l’ordre public international (1°) et, dans certains cas, la fraude à la loi (2°). Ces arguments, qui sont pour l’instant brandis devant les seules juridictions du fond, méritent d’être étudiés, d’autant plus que le règlement « Successions » préserve le jeu de l’exception de l’ordre public international (Règl. Successions, art. 35) et n’interdit pas aux tribunaux des États membres de sanctionner la fraude à la loi (Règl. Successions, consid. 26).


1°/

Réserve héréditaire et ordre public international

Comme dans une affaire précédemment signalée(29), les enfants d’un Français qui s’était installé de longue date en Californie contestaient la dévolution successorale faite à la dernière épouse de celui-ci. La liberté testamentaire étant largement reconnue aux États-Unis, les enfants n’avaient aucune part dans la succession en vertu de la loi californienne applicable à la succession mobilière de leur père et soutenaient que cela portait atteinte à l’ordre public international français(30). Le tribunal de grande instance de Paris reste insensible à leur demande (TGI Paris, 2 déc. 2014, RG n° 10/05228  009). Pour l’essentiel, sa position tient à quatre motifs : – le fait que la réserve héréditaire ait été rendue vulnérable par l’abrogation du droit de prélèvement ne doit pas conduire à une instrumentalisation de l’ordre public international, par une sorte de gonflement artificiel ; – aucune décision de la Cour de cassation n’a fait de la réserve un des « principes essentiels du droit français » ; – aucune loi n’est venue remplacer, en l’élargissant aux héritiers étrangers, celle de 1819 ; – les demandeurs ne se trouvaient pas dans « un état de besoin économique particulier ». Le raisonnement ne s’articule pas tout à fait de la même manière que dans la précédente affaire, où le même tribunal avait surtout pointé la monétarisation de la réserve dans le droit interne français.


EXTRAITS

 009 TGI Paris, 2 déc. 2014, RG n° 10/05228

« Attendu en conséquence que le choix de M. X de préparer sa succession en la soumettant à la loi successorale de son domicile ne connaissant pas la réserve héréditaire, choix qui n’a pas eu pour effet de maintenir ses héritiers dans un état de besoin économique particulier, n’apparaît pas heurter l’ordre public international français en l’état du droit positif (…) »


Quant à une résurrection, par voie législative, du droit de prélèvement, élargi aux héritiers étrangers qui eux-mêmes pourraient subir les effets d’une loi étrangère ignorant la réserve, elle ne paraît pas au programme du gouvernement. Une réponse de la garde des Sceaux (Rép. min. à QE n° 72364, JOAN Q. 23 juin 2015, p. 4765  010) montre que cette idée se heurte à différentes objections, tirées à nouveau de la discrétion de la Cour de cassation sur le terrain de l’ordre public international et, surtout, de l’emprise du droit de l’Union européenne sur ces questions : – conception étroite des lois de police, selon le considérant 54 du préambule du règlement Successions ; – position supposée de la Cour de justice, qui privilégierait le respect du projet successoral du défunt à une protection systématique des personnes se prétendant réservataires. Ne resterait donc que la fraude à la loi, à ce que semble suggérer le ministre en évoquant « un changement de résidence du défunt peu avant son décès » qui ne devrait pas « pouvoir être pris en considération ».


EXTRAITS

 010 Rép. min. à QE n° 72364

« (…) Réintroduire le mécanisme du droit de prélèvement, dans une rédaction ouverte à tous les héritiers quelle que soit leur nationalité, conduirait ainsi à poser une nouvelle dérogation aux règles de conflit posées par le règlement (n° 650/2012/UE), en contradiction avec l’esprit de celui-ci (tel qu’éclairé notamment par le considérant 54 de son préambule). En outre, il est délicat de considérer que la dérogation qui pourrait être ouverte par le droit français par le rétablissement du droit de prélèvement entrerait nécessairement dans le champ de l’exception d’ordre public visé à l’article 35 du règlement qui prévoit qu’une disposition de la loi normalement applicable à la succession peut être écartée “si son application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for”. En effet, d’une part, en droit interne, la nature juridique de la réserve héréditaire et son appartenance au socle des règles relevant de l’ordre public international français n’est pas clairement fixée par la jurisprudence de la Cour de cassation. D’autre part, l’objectif du règlement visant à garantir une plus grande visibilité en matière successorale aux personnes résidant habituellement sur le territoire de l’Union européenne, pourrait conduire la Cour de justice de l’Union européenne à considérer qu’un État membre ne peut pas permettre l’éviction systématique des lois étrangères ne prévoyant pas de réserve. La réintroduction du droit de prélèvement ferait donc courir un risque sérieux de censure du dispositif par la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’un recours en manquement ou par la voie d’une question préjudicielle. Dès lors, il n’est pas envisagé une réintroduction de ce mécanisme en droit interne, la protection de la réserve héréditaire étant par ailleurs assurée par les limites posées par le règlement au choix de la loi applicable, qui n’est possible qu’en faveur de la loi de la nationalité du défunt et par les règles relatives à l’appréciation de la notion de résidence habituelle, un changement de résidence du défunt peu avant son décès ne devant pouvoir être pris en considération »




2°/

Réserve héréditaire et fraude à la loi

La fraude à la loi, dans le contexte du droit commun français, était un autre angle d’attaque utilisé par les enfants dans l’affaire tranchée par le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 2 déc. 2014, RG n° 10/05228  011). L’offensive rappelait l’affaire « Caron »(31) car, comme dans ce précédent, les enfants reprochaient à leur père d’avoir ameubli un immeuble situé en France, pour le remplacer par des parts sociales, dont la dévolution ne relevait pas non plus de la loi du situs de l’immeuble (la loi française, avec sa réserve héréditaire), mais de la loi du dernier domicile de leur père (la loi californienne, sans réserve héréditaire). En l’espèce, l’immeuble avait été transféré à un trust, puis l’immeuble ayant été apporté à une société civile immobilière de droit français, les parts sociales avaient été mises dans le trust également. Le tribunal de grande instance ne suit pas non plus les enfants du défunt sur ce terrain : à lire son jugement, il semble que, pour que la fraude puisse s’envisager, il eût fallu que le de cujus déplace à dessein son domicile dans un État ne connaissant pas la réserve, puis mobilise son immeuble en France. Suite au prochain numéro…


EXTRAITS

 011 TGI Paris, 2 déc. 2014, RG n° 10/05228

« Mais attendu que dans les circonstances présentes, la perte par les héritiers de la possibilité juridique de demander la réduction des libéralités excessives s’agissant de l’immeuble procède essentiellement du rattachement de la succession mobilière de M. X à la loi américaine, ce qui n’a pas résulté en l’espèce d’une manipulation frauduleuse de son domicile, et n’a donc pas entraîné de manquement du de cujus à la loi successorale française lorsqu’il a décidé, après avoir transféré l’immeuble au trust en tant que tel dès l’origine (…) d’apporter l’immeuble à la société Y, puis, ensuite d’apporter les parts sociales au trust, faisant ainsi échapper l’immeuble à la loi française du lieu de l’immeuble au plan successoral ;

Que dès lors la constitution de la société civile immobilière et l’apport de l’immeuble parisien, qui n’ont eu pour effet de soustraire celui-ci à la loi successorale française qu’en raison du domicile américain de M. X, ne peuvent être regardés comme frauduleux (…) »



Notes

(1)
Règl. PE et Cons. n° 650/2012/UE, 4 juill. 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, JOUE 27 juill., n° L 201.

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(2)
Cass. 1re civ., 18 févr. 2015, n° 11-11.054.

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(3)
Cass. com., 4 nov. 2014, n° 12-27.072.

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(4)
Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 14-11.273.

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(5)
Conv. Rome, 19 juin 1980, et Règl. PE et Cons. n° 593/2008/CE, 17 juin 2008, dit règlement « Rome I », sur la loi applicable aux obligations contractuelles, JOUE 4 juill., n° L 177.

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(6)
P. Berlioz, La clause d’exception, in T. Azzi et O. Boskovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale du conflit de lois ?, Larcier, Bruxelles, 2015, p. 189.

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(7)
CJUE, 23 oct. 2014, aff. C-305/13, Haeger & Schmidt, Dr. & patr. 2014, n° 242, p. 82.

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(8)
CJCE, 6 oct. 2009, aff. C-133/08, ICF, Dr. & patr. 2009, n° 187, p. 109.

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(9)
Pour un précédent, émanant de la Chambre commerciale, v. Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-19.723, Dr. & patr. 2007, n° 165, p. 80.

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(10)
Règl. Rome I, consid. 20 : « (…) Afin de déterminer (le) pays (dont la loi prévaudra finalement), il convient de prendre en compte, notamment, l’existence de liens étroits du contrat avec un ou plusieurs autres contrats ».

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(11)
Rappr. CA Versailles, 6 févr. 1991, Rev. crit. DIP 1991, p. 745, note P. Lagarde, JDI 1992, p. 125, note J. Foyer.

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(12)
J. Foyer, note précitée sous CA Versailles, 6 févr. 1991. Rappr. Cass. com., 8 mars 2011, n° 09-11.751, Dr. & patr. 2011, n° 209, p. 89.

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(13)
En réalité, en tout premier lieu, la Cour de cassation a reproché aux juges d’appel de ne pas avoir déterminé la loi applicable à la charge de la preuve du montant restant dû à la banque (v. Conv. Rome, art. 14.1, qui confie cette question à la loi du contrat, c’est-à-dire, ici, à la loi du cautionnement). En l’espèce, la cour d’appel avait d’abord fait peser la charge de la preuve sur les épaules de la banque, pour ensuite s’inquiéter de la loi applicable au contrat.

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(14)
On retrouve ici la définition canonique posée par P. Francescakis, qui est reprise, avec peu de variations, par l’article 9.1 du règlement « Rome I ».

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(15)
Cass. com., 13 juill. 2010, nos 10-12.154 et 09-13.354, Dr. & patr. 2010, n° 198, p. 114.

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(16)
Cass. 1re civ., 22 oct. 2008, n° 07-15.823, Dr. & patr. 2009, n° 187, p. 109 ; Cass. com., 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Dr. & patr. 2010, n° 198, p. 114.

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(17)
Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-19.723, précité ; Cass. com., 27 avr. 2011, n° 09-13.524, Dr. & patr. 2011, n° 209, p. 90.

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(18)
Cass. ch. mixte, 30 nov. 2007, n° 06-14.006, Dr. & patr. 2008, n° 176, p. 93.

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(19)
Cass. com., 27 avr. 2011, n° 09-13.524, précité.

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(20)
Cass. 3e civ., 25 févr. 2009, n° 07-20.096, Dr. & patr. 2009, n° 187, p. 109.

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(21)
H. Batiffol, Les conflits de lois en matière de contrats, Sirey, 1938, n° 469 ; Y. Flour, L’effet des contrats à l’égard des tiers en droit international privé, thèse, 1977, n° 83 ; P. Lagarde, La sous-traitance en droit international privé, in C. Gavalda (dir.), La sous-traitance de marchés de travaux et de services, Economica, 1978, p. 186 et s., spécialement p. 197-198.

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(22)
Règl. PE et Cons. n° 864/2007/CE, 11 juill. 2007, JOUE 31 juill., n° L 199.

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(23)
Cass. 1re civ., 20 déc. 2000, nos 98-15.546 et 98-16.103, JCP G 2001, I, chron. 340, n° 33, obs. G. Viney, Rev. crit. DIP 2001, p. 683, note V. Heuzé, RTD com. 2001, p. 1057, obs. P. Delebecque.

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(24)
Sur un « acteur » plus rare en jurisprudence, v. Cass. 1re civ., 15 avr. 2015, n° 14-10.661, RLDC 2015/131, n° 6014, obs. G. Chabot, à propos de la capacité d’une fondation de droit suisse à recevoir un legs régi par la loi successorale française.

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(25)
Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-22.983, Dr. & patr. 2013, n° 231, p. 82.

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(26)
Cass. civ., 24 juin 1878 et Cass. req., 22 févr. 1882, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, par B. Ancel et Y. Lequette, Dalloz, 2006, nos 7-8.

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(27)
Cass. 1re civ., 11 févr. 2009, n° 06-12.140, Dr. & patr. 2009, n° 187, p. 104.

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(28)
Cons. const., 5 août 2011, n° 2011-159 QPC, Dr. & patr. 2011, n° 209, p. 93.

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(29)
TGI Paris, 10 juill. 2013, RG n° 06/13502, Dr. & patr. 2013, n° 231, p. 82.

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(30)
En amont, les enfants contestaient aussi l’application immédiate de la décision du Conseil constitutionnel à la succession de leur père, ouverte avant le 5 août 2011. Mais le tribunal de grande instance de Paris a jugé que l’abrogation devait produire ses effets dans la présente affaire.

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(31)
Cass. 1re civ., 20 mars 1985, Rev. crit. DIP 1986, p. 66, note Y. Lequette. Comp. Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n° 02-15.425, Dr. & patr. 2005, n° 142, p. 112.

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